Le rôle des chaînes privées de télévision dans la fermeture de ERT
Par Nikos Mihalitsis
Le 11 juin 2013 le gouvernement a décidé de fermer l'ERT, la radiotélévision publique grecque. Malgré le tollé international provoqué par cette fermeture, toutes les grandes chaînes privées de radiotélévision grecques ont soutenu avec manie et par tous les moyens la décision du gouvernement à travers leurs journaux télévisés et autres émissions d'informations. Mais ils ne se sont pas arrêtés là. Ils ont offert tous leurs moyens techniques pour faire taire la voix et l'image de ERT ouverte et libre, qui n'a jamais cessé de fonctionner grâce à la décision de ses salariés de ne pas la laisser se taire. Des techniciens de chaînes privées ont accompagné les forces de police qui ont sont parties à l'assaut des émetteurs de ERT et qui, après les avoir fermer, ont aidé à émettre le signal numérique, les barres en couleurs, qui étaient retransmises avec l'aide de deux organismes privés, OTE (télécom) et Digea.
Les gens se sont demandés qu'est ce que ces deux organismes privés pouvaient avoir à faire dans la fermeture de ERT.
La vérité est qu'ils ont participé activement, et en particulier Digea, à un plan du gouvernement pour le contrôle absolu de l'espace télévisé comme il sera dans la nouvelle ère du numérique.
Mais qui est digea?
Digea est une société qui offre des services de codification numérique et d'émetteur de télévision numérique terrestre. Elle a obtenu un permis de la Commission Nationale des Télécommunications et des Postes (EETT) seulement pour la première phase transitoire de la télévision numérique qui concerne 23 points d'émission dans toute la Grèce. Bien que la législation autant européenne que grecque (loi 3592/2007) interdise à un fournisseur de réseau d'être fournisseur de contenu (c'est-à-dire de chaîne de télévision) pour l'empêcher d'acquérir une position dominante sur le marché de la télévision, Digea est un consortium de 6 grandes chaînes privées de télévision. Les propriétaires de ces chaînes sont des facteurs puissants de l'économie grecque, milieux de l'industrie de la construction, capitaux d'armateurs et propriétaires de groupe de médias. Ils ont été accusés dans le passé, même par des premiers ministres du pays, d'utiliser la puissance des groupes de médias pour s'imbriquer dans le pouvoir politique et en tirer profit pour leurs autres activités. Tous les gouvernements jusqu'à aujourd'hui, malgré leurs annonces initiales de se désengager de cette étreinte des propriétaires de chaînes privées de radiotélévision, ont fini par s'allier à eux en échange d'un soutien scandaleux de leur chaînes à toute politique gouvernementale.
Les membres de Digea sont aujourd'hui les chaînes suivantes :
- MEGA, propriété de MM. Bobolas et Psycharis
- ANT1, propriété de M. Kyriakos
- STAR, propriété de M.Vardinoyannis
- SKAI, propriété de M.Alafouzos
- ALPHA, propriété de M. Kontominas
- MAKEDONIA TV, propriété de M.Kyriakos
Une remarque intéressante: aucune de ces chaînes ne dispose aujourd'hui d'une licence légale, bien que le régime de licences provisoires ratifié par le Conseil National de Radiotélévision (ESR) a été jugé illégal par la décision (3578/2010) de l'assemblée plénière du Conseil d'Etat.
Appel d'offre pour l'attribution des fréquences de télévision numérique
La fermeture de ERT a coïncidé avec les concertations sur les prescriptions de l'appel d'offre pour l'attribution des fréquences de télévision numérique. La concertation s'est achevée le 19 juin 2013 et selon le Secrétaire général des Télécommunications du ministère du développement, M. Daskalakis, l'appel d'offre sera lancé d'ici le 30 juin 2013 au plus tard.
Selon les prescriptions de l'appel d'offre (publiées avant la fermeture de ERT), 2 fréquences seront attribuées à ERT (au lieu des 3 dont elle disposait avant sa fermeture) 4 fréquences pour un réseau de portée nationale (au lieu de 2) et 2 de portée régionale.
ERT était de par la loi un fournisseur de réseau et en tant que service public ne payait pas de droit pour l'utilisation des fréquences publiques.
Les 6 fréquences restantes (4 de portée nationale et 2 de portée régionale) sont celles qui feront l'objet de l'appel d'offre dont l'Etat est supposé tirer un profit financier important en le louant à des chaînes privées pour une durée de 15 ans, par un appel d'offre soumissionnaire international.
Jusque là tout va bien hormis les 2 fréqences au lieu de 3.
Les décisions “additionnelles” soudaines
Le fait qu'il est hors de question que ERT participe à l'appel d'offre ne signifie qu'elle ne devrait pas participer aux concertations. Au contraire ERT était l'organisme le plus compétent pour défendre l'intérêt public dans ce cas précis. La décision soudaine de fermer ERT l'empêche de formuler ses points de vue, même sur la réduction du nombre des fréquences qui lui sont attribuées au profit des fournisseurs privés de réseaux. Le projet de nouvel audiovisuel public, tel qu'il est présenté par le gouvernement (une seule chaîne de télévision) présage d'une réduction supplémentaire des fréquences de l'organisme public toujours en faveur des privés. Elle satisfait absolument la demande des chaînes privées de rétrogradation technologique de l'audiovisuel public en éliminant la chaîne haute définition ERT HD que les chaînes privées ont tellement détesté et combattu au contraire des téléspectateurs qui l'ont fortement applaudie.
Les omissions “additionnelles”
Une omission bizarre dans les prescriptions crée un contexte absurde et donne la certitude à Digea d'être le vainqueur de l'appel d'offre. C'est le fait que la Grèce est le seul pays au monde à proclamer un appel d'offre pour permettre au fournisseur de réseau (qui offrira des services techniques d'émission) sans avoir accorder auparavant un permis à ses clients, c'est-à-dire aux fournisseurs de contenu télévisé. N'importe quelle société sérieuse qui voudrait investir dans notre pays, devrait acheter les fréquences ) l'Etat pour les revendre aux chaînes de télévision. Mais le problème est qu'aujourd'hui elle ne trouverait aucun client légal. Mais en plus elle aurait face à elle comme concurrent une société composée de 6 de ces plus gros clients.
Les rédacteurs des prescriptions ont ils jamais entendu parler de la concurrence déloyale? Apparemment non.
Assurons nous de ne pas avoir de concurrent
mais les obstacles pour empêcher une autre société de participer ne s'arrêtent pas là. Les prescriptions comportent un calendrier d'installation d'émetteurs en 156 centres d'émission (pages 45-49) qui exige que ce soit le fournisseur de réseau qui installe 5 émetteurs par centre, c'est-à-dire 780 au total. Ce calendrier doit être établi entre le 30 juin 2013 et le 30 juin 2014. la procédure à suivre est très longue surtout pour un nouveau fournisseur.
Ils doivent dans les 3 mois qui suivent l'obtention de l'autorisation avoir installer un réseau dans tous les centres d'émission où ERT est présente (page 43) et aucun écart des dates fixées n'est permis.
Imaginons qu'une société hypothétique désirant participer à l'appel d'offre proclamé le 30 juin et qui obtient une réponse positive fin août.
Il faudra qu'en un mois elle ait commandé et reçu 780 émetteurs, qu'elle ait l'autorisation pour 156 systèmes d'antennes, qu'elle ait créé une coopération qui en un an aura posé 780 émetteurs etc...
Malheureusement, toute société sérieuse sait que tout cela ne peut être réaliser que par quelqu'un qui est certain d'avance de gagner le concours et qui se sera préparé à temps.
La fermeture de ERT lui assure l'impossibilité de répondre à un tel calendrier. Ainsi ERT est exclue elle aussi du jeu et ses fréquences et son réseau sont livrés aux privés.
Soulignons que les seules sociétés qui ont demandé à ce que les réponses de l'appel d'offre soient confidentielles et ne soient pas publiées sont Digea et OTE (Deutsche Telekom), les deux sociétés qui aident en cachette le gouvernement à émettre les barres en couleur, signal adversaire de ERT ouverte.
Assurons nous du résultat avec une de nos photos
A la page 71 des prescriptions se trouvent les critères exigés pour une participation à l'appel d'offre. Les deux premiers sont justes (compétence économique et technique) mais le troisième: “capacité de gérer le processus de transition et de possibilité d'information du public”?
C'est un critère qui peut permettre d'exclure un participant du marketing dans la transition numérique, c'est-à-dire la fameuse publicité d ela famille Kliklikou, propriété exclusive de Digea. Toutes les autres sociétés sont exclues comme si elles n'étaient pas capable de mettre sur peid une autre campagne de communication.
Mais en plus nous voulons tout...
Maintenant que nous savons que le réseau nous appartient occupons nous de nous emparer de toutes les fréquences au lieu de les distribuer.
Le rédacteur des prescriptions s'est occupé de cela aussi:
dans les pages 60 à 64 il développe une logique qui dit en résumé ce qui suit: si le coût exigé pour l'équipment d'une fréquence est x et si les 4 fréquences sont attribuées à 4 fournisseurs différents le coût global sera 4x, mais s'elles sont attribués à un seul fournisseur, en raison de commandes de gros, il baissera à 2,2x.
C'est juste et c'est bien l'argument principal des monopoles, seulement que cet argument doit être présenté par l'acheteur et non par le vendeur (c'est-à-dire le public).
Cette pensée va plus loin et propose finalement de donner 5 fréquences, 4 de portée nationale et 1 de portée régionale.
Si pour le restant de la portée régionale, l'appel d'offre reste stérile, la fréquence est offerte au contractant des autres fréquences au prix de départ et non au prix de l'appel d'offre, et nous avons alors le monopole absolu.
C'est peut-être pour cela que l'Union des chaînes régionales a émis un communiqué dénonçant la contrainte économique indirecte visant à fermer toutes les chaînes régionales et la l'abandon des fréquences des fréquences à Digea après la suppression de ERT.
Les facilités finales
maintenant qu'on s'est assuré d'avoir le contrôle monopolisé des fréquences, occupons de réduire le coût des dépenses du contractant. On estime que les 156 centres d'émission couvriront la population à 96,2%.
Que se passe-t-il avec le reste de la population, qui pourrait demander 300 autres points d'émission par de petits transmetteurs? Qui en payera le coût qui normalement devrait revenir au contractant?
La recette est connue et a déjà été appliquée ces dernières années: on transfère le coût qu'aurait du payer le contractant privé (Digea) sur le citoyen.
A la page 43 il est précisé que le contractant doit coopérer avec les organismes de gestion locale qui seront proposés pour se charger du coût des retransmetteurs nécessaires.
Requiem...
Mais pourquoi tout cela peut-on se demander?
On connapit bien le soutien que les actionnaires de Digea ont offert à tous les gouvernements et à leur politique, surtout ces dernières années de mémorandum et depolitique d'austérité.
En échange de leurs bons services, ils ont eu des compensations ayant trait à leurs activités professionnelles parallèles.
D'ailleurs la plupart des premiers ministres du pays l'ont dénoncé, d'habitude au début d leur mandat pour l'oublier rapidement par la suite et atterrir dans la réalité et l'entraide.
Mais aujourd'hui les gens cherchent à entendre une voix critque à la télévision et ils auraient pu faire jaillir des chaînes télévisées qui échapperaient au contrôle des 5 propriétaires des grandes chaînes.
Le contrôle monopolisé du réseau d'émetteurs donne la possibilité au gouvernement et aux propriétaires de ces chaînes d'empêcher de tels phénomènes et excluant un contenu gênant de sortir à l'antenne.
Et que ceux qui croient que le fournisseur de réseau n'a pas le droit de contrôle sur le contenu se détrompent et se rappellent ce qui se arrivait ces derniers jours d'ERT ouverte à tous ceux qui essayaient de retransmettre son programme.
En 20 secondes Digea (sur ordre du gouvernement comme elle l'a avoué elle-même) l'a punie en remplaçant son programme par les fameuses de couleur.
Imaginez qu'elle s'assure une licence de 15 ans et qu'au lieu de ERT on ait une mauvaise imitation de YENED (radiotélévision des forces armées sous la dictature des colonels).
L'appel d'offre ne doit pas se faire avec les conditions posées.
Sinon la démocratie recevra encore un coup très fort.